« J'ai trop de boulot »

Tchin ! Autour de la table, les convives trinquent au trentième anniversaire de Paul et à la bonne nouvelle. Sa femme, Cécile, est enceinte de leur deuxième enfant. Le jeune technico-commercial fait bonne figure, mais il n'a qu'une envie, aller dormir. Il faut dire que comme toujours, la rentrée a démarré sur les chapeaux de roues au négoce. Et son nouvel objectif de prospection lui semble aussi facile que d'escalader l'Himalaya en tongs.

Une petite main qui tire sur sa manche vient le sortir de sa morosité. C'est sa fille, Joséphine, trois ans, qui veut lui montrer son oeuvre en pâte à modeler. « J'arrive, ma chérie, j'arrive. » Du coin de l'oeil, il voit Cécile lui jeter un regard d'avertissement. Leur relation n'est pas au beau fixe. Elle lui reproche de ne pas être là pour sa fille et de passer son temps à travailler. Ce qui n'est pas totalement faux...

Pourtant, rien ne le ferait changer de métier. Il adore la technique et au bout de quelques années, il connaît bien les agriculteurs qu'il suit, c'est toujours un plaisir de passer chez eux. Pour autant, Paul est bien conscient que la situation est explosive. C'est pourquoi après une dispute particulièrement virulente avec sa femme, au sujet de l'arrivée du futur bébé, il a décidé de parler à son chef, Philippe. La veille, mal à l'aise, il lui a demandé s'il avait quelques minutes à lui consacrer.

- « Bien sûr, ferme la porte et assieds-toi. » Maladroitement, il lui a expliqué que « la prospection, c'est pas possible, je m'en sors pas », lui parlant de sa femme qui attend un bébé, de sa fille, avant de conclure par un « j'ai trop de boulot, il faudrait que les journées durent 27 heures pour pouvoir tout faire ». Philippe a semblé perplexe.

- « Tu es l'un de nos meilleurs éléments, tu passes très bien avec les clients, c'est pour ça qu'on voulait que tu démarches de nouveaux agriculteurs. » Paul n'a pas su quoi répondre et il est retourné déconfit aux résultats d'essais de la dernière nouveauté herbicide céréales.

Une sonnerie retentit. Le temps de prendre conscience qu'il s'agit de son téléphone pro, tous les convives ont le regard braqué sur lui. Au nom qui s'affiche, il comprend qu'il doit répondre. Evitant le regard de Cécile, il s'excuse et quitte la table presque soulagé de décrocher.

Marion Coisne